











Depuis la fin des années 1980, je dompte sur mon ordinateur les divers logiciels de création graphique. Après avoir transformé mon Analphabet en fonte typographique, la présence de chaque caractère placé côte à côte me rappelle l’expression des tapis d’Orient. Je décide de déformer chacune des lettres en les entremêlant jusqu’à former des mouvements harmoniques. En colorant mes nouvelles formes, un nouveau destin graphique est donné à chacune de mes lettres. Et, en introduisant des dessins non abstraits dans les mouvements symphoniques, des harmonies analphabétiques, compréhensibles par tous, forment des œuvres musicales silencieuses. Je suis fier de réussir à briser ou à contourner l’interdit de ma mère. Mon ordinateur est mon instrument de musique. Pour quelques années, je m’installe en chef d’orchestre au milieu de mes créations picto-musicales, et les nomme Artographie. Fin 2002, pour la sortie de mon livre « Regard sur mon Art », j’expose une collection d’Artographies dans une galerie de Polynésie. Mais je veux, avant de mourir, réaliser une exposition en France.
Pour éviter des répétitions dans la narration de ma démarche, il serait superflu de présenter certaines de mes expositions, ou d’écrire sur ma participation à des festivals et à des mouvements artistiques. Les critiques et les spécialistes de l’art pourront toujours s’en charger. Pour information, mon travail en mon atelier de Toulouse fut à l’image de celui d’Auckland : j’y ai amélioré mon style facettiste. À Rennes-le-Château, avec Alain Féral, nous avons créé l »Atelier Janus2 » qui aboutira à une exposition conjointe à Paris. Après ce vernissage parisien, notre action commune artistique prendra fin.
En 2005, je voyage en France pour convaincre mon ami de jeunesse parisienne, Denis Dupré, de m’aider à réaliser un livre sur ma démarche artistique. Dans l’attente de sa réponse, je rentre en Polynésie pour gérer des problèmes associatifs humanitaires. Je retourne à Saumur en automne 2006, et Denis accepte de participer à l’organisation d’une exposition. Il commence à écrire sur mes Artographies et, en une semaine, il crée une association « Les Amis de Mathius » avec des amateurs d’art de France. En décembre 2006, nous voyageons vers des lieux de mon enfance. Au sommet de la grande côte du village de Liré, situé entre Nantes et Angers, l’entrée du château de la Turmelière avec sa Grande Allée bordée de grands arbres, reste inchangée. Mon émotion est indescriptible, j’erre dans le parc de mon ex-pension, à la recherche de quelques vies d’une époque perdue. En contrebas du coteau, les ruines de la demeure de Joachin du Bellay sont devenues le symbole des vestiges de mes rêves d’enfant. La Turmelière est un mausolée de mes souvenirs d’instants heureux. Nous poursuivons notre étrange voyage vers les marais de la Presqu’île guérandaise. À La Baule, devant la Maison des douleurs, madame Moisan, la voisine de ma maison maternelle, stupéfiée par ma venue, tente de justifier la lâcheté des habitants du quartier à mon égard. Je souris encore du déni effroyable de cette femme devant ma souffrance d’enfant. Par contre, la disparition momentanée de Denis pendant cette rencontre m’a sidéré, son refus d’entendre une vérité que nous étions venus chercher est totalement inattendu. Après cette entrevue ratée devant la Maison des douleurs, nous continuons notre route jusqu’au Bourg-de-Batz. Au milieu des marais, mon ami d’enfance, Michel Devillers, nous attend. Michel est grandement étonné que je sois artiste peintre et non musicien. Médusé, il me demande si je continue à composer des musiques qu’il aimait écouter avec d’autres enfants du Grand Clos. En cet instant, la honte que j’avais ressentie lorsque mon talent avait failli face à monsieur Aimé Maeght envahit mon âme. Comment expliquer la complexité de mon héritage artistique ? Je comprends l’urgence de retourner à mon « gommisme » et d’arrêter de cacher ma véritable identité artistique. L’innocence de mon ami d’enfance venait de me donner une leçon d’humilité. Denis, perdu dans ce retour vers le futur s’invente un roman pour fuir sa propre réalité et son déni. Il est vain de contredire ses pensées.
Sur la route du retour vers Saumur, nous rêvons de trouver un titre original pour mon prochain vernissage… L’ami Éric Bagourd, professeur de musique, a lancé des contacts avec la Ville de Loudun pour mon exposition. Il est le trésorier de l’association Gabriel Fauré qui organise, à la Collégiale Sainte-Croix, des événements musicaux. Denis m’emmène en repérage dans cette église gothique, au cœur de la ville. Sous un soleil extérieur de fin d’hiver, les pierres blanches de la Collégiale se sont drapées d’une lumière ample et douce. Je déclare : « C’est ici que je veux exposer, et le titre de l’exposition sera : Le Tropique des Marais ». Pour les locuteurs de langue polynésienne, le titre est une double entrée, les « marae » sont des lieux sacrés des cultes polynésiens, dont la prononciation se rapproche de « marais ». Je laisse sans contrainte Denis écrire sur ma démarche artistique et organiser l’exposition prévue, dans une année, en la collégiale de Loudun.
Je repars à Tahiti pour exposer pour le principe, mes Artographies à l’Assemblée de la Polynésie, et je retourne en France au début du printemps 2008 pour mon événement pictural à Loudun. Le jour du vernissage, une belle assistance emplit la Collégiale, le maire souhaite la bienvenue à toutes et à tous. Lorsque je dois prendre la parole, je deviens subitement aphone et des vertiges me transportent dans un ailleurs terrible. C’est la présence de ma fille qui me ramène dans la réalité du monde. Ce malaise était le prix d’âme à payer pour arriver à rompre la malédiction familiale. Inconsciemment, je l’ai écrit dans mon discours, « aphone », de bienvenue à cette exposition : « Madame, Monsieur, mon Art est le véhicule par lequel je vous invite à visiter chaque parcelle de mon éternité. Écoutez ! Je vous emmène dans ma réponse au souffle de mon créateur.
Imaginez, une étoile changeant de trajectoire.
Imaginez, un big-bang affectif…
Imaginez, le déchirement du verbe…
Imaginez, des combats sans illusion…
Imaginez,
Votre mort au rêve d’un rayon d’espoir…
Imaginez !
D’être l’autre,
Puis,
Complètement éclaté,
Le souffle de la Création vous recompose.
Oui !
Assis sur le rebord de l’univers
Vous apprenez le « chant » des étoiles,
Oui !
Par ma génitrice,
Mon âme crie de douleur.
Ma conscience a déraisonné…
Oui !
Je me suis éteint.
Oui !
Ni vide ni plein,
J’ai erré, j’ai erré, j’ai erré…
Puis,
La vieillesse venant,
Le parfum d’une Vérité,
Pénétra chaque parcelle de mon tout dispersé,
Il me créa un ciel de tendresse…
Vous mes autres,
Qui êtes-vous !
Moi…
Je suis.